Liberté d’expression, diffamation et impunité : l’Affaire Awada

Dalila Awada, l’étudiante en sociologie qui a brillamment tenu tête à Djemila Benhabib lors d’un débat à Tout le monde en parle en septembre 2013, poursuit des gestionnaires de sites internet ainsi que l’ex-candidate péquiste Louise Mailloux pour propos diffamatoires. Ne connaissant pas particulièrement bien ni la jurisprudence sur la liberté d’expression et la diffamation ni la nature de la preuve déposée, je ne me prononcerai pas sur les détails de ce cas particulier. En plus, je souligne, par souci de transparence, que Dalila est une amie que je respecte et apprécie.

Comme il fallait s’y attendre, certains voient dans sa démarche juridique une tentative de museler ses adversaires idéologiques. Il me semble particulièrement ironique que des critiques de la conception soi-disant trop généreuse de la liberté de religion soutiennent aujourd’hui que la liberté d’expression des intimés est menacée d’une façon inacceptable.

D’un côté, les défenseurs de la Charte de la laïcité ont soutenu que la liberté de religion n’est pas absolue et qu’elle ne doit pas avoir plus de poids que les autres droits fondamentaux. Comme à peu près tous les tenants d’une conception plus libérale de la laïcité l’ont répété un nombre incalculable de fois, ils ont tout à fait raison. La liberté de religion n’est pas absolue. Elle peut être restreinte lorsque les droits d’autrui ou l’intérêt général le justifient. Les cas de restriction de la liberté de religion ne manquent pas dans la jurisprudence canadienne.

De l’autre côté, certains, dont Djemila Benhabib et, bien sûr, les intimés, s’inquiètent aujourd’hui des limites à la liberté d’expression et du musèlement du débat démocratique. Mais quelle est leur position sur le sens et la portée de la liberté d’expression ? Considèrent-ils qu’elle puisse être limitée de façon raisonnable et légitime ? Si oui, à quelles conditions ? La diffamation peut-elle, en principe, limiter la liberté d’expression ? Ceux qui considèrent que la démarche juridique de Mme Awada équivaut à une « poursuite bâillon » ont-ils une position philosophique cohérente sur la portée des droits fondamentaux et les rapports entre eux ?

J’ai très souvent débattu avec les tenants d’une conception républicaine à la française de la laïcité et de la liberté de religion. Je considère qu’ils ont tort, mais il est absolument vital, tant sur le plan de la confrontation des idées nécessaire à la démocratie que sur celui du respect des droits fondamentaux, qu’ils puissent exprimer leur position publiquement. Et il est normal que les débatteurs dans l’arène démocratique ne fassent pas toujours dans la dentelle. Toutefois, lorsque l’on attaque des réputations et non des idées, que l’on tente de discréditer des personnes en propageant des propos mensongers, nous entrons sur le terrain de la diffamation. La diffamation « est une atteinte à la réputation d’une personne physique ou morale, car elle sème envers cette personne, dans l’esprit du citoyen ordinaire et de la société en général, de la déconsidération. »

Je ne sais pas si la présente affaire constitue une forme de diffamation proscrite par la loi, mais je sais que les vidéos et les autres propos qui ont circulé au sujet de Dalila Awada et de ses proches sont nauséabonds et qu’ils ne contribuent nullement à la qualité de notre débat démocratique. Comme le professeur de droit Pierre Trudel le rappelle, « les règles du droit québécois de la diffamation prescrivent au juge de déterminer si une faute a été commise. En ces matières, il y a faute lorsqu’on arrive à la conclusion qu’une personne raisonnable placée en pareilles circonstances n’aurait pas prononcé ou écrit les propos qui sont l’objet de la poursuite. »

Le cas Awada aura la vertu de clarifier l’état du droit sur la liberté d’expression et le droit de ne pas être diffamé. Une fois les faits et les arguments juridiques connus, une nouvelle saisie démocratique de la question des limites du dicible, dans un contexte social transformé entre autres par le « Far Web », sera possible.

Dans un monde idéal, l’éthique individuelle, le sens de la responsabilité morale et civique, le respect d’autrui feraient en sorte que ce genre de cas ne se retrouve pas devant les tribunaux. C’est bien parce que l’éthique ne suffit pas toujours à réguler suffisamment les conduites que le droit est nécessaire.

La présente affaire soulève aussi des questions sur la culture de l’impunité qui sévit dans notre débat démocratique. Plusieurs intervenants—des élus, des chroniqueurs et des citoyens qui s’expriment sur les réseaux sociaux—semblent penser qu’ils peuvent prendre congé de la vérité et du souci de l’autre afin de servir leurs intérêts sans que cela ne leur cause ensuite problème. Les paroles sont des actes, et les actes ont des effets. Comme en témoigne la saga des avis juridiques sur le projet de loi 60 et la tentative de Bernard Drainville de justifier la façon dont il a promu la position de son parti sur la Charte de la laïcité, la culture de l’impunité a des limites et il vient un temps où il faut assumer les conséquences de ses actes. Je ne suis guère enthousiaste par rapport aux conceptions « rétributives » de la justice, mais une réflexion collective sur la culture de l’impunité s’impose.

Comments

Liberté d’expression, diffamation et impunité : l’Affaire Awada — 6 Comments

  1. Cher Maclure,
    Vous êtes un dhimmi de service depuis le début —et même avant (j’espère que vous n’avez pas perdu votre sens de l’humour dans ce labyrinthe d’argumentations flottantes)—.
    Dites-le franchement, Dalila n’a rien à voir avec quelqu’organisation politico-religieuse que ce soit. Elle ne sait même pas où est situé l’Iran sur une carte géographique. Et ce sera fini, tout le monde se taira.
    Mon conseil est sans frais. Et surtout ne perdez pas votre temps à me répondre.

  2. La médiocrité des profs de philosophie. Maclure, Mailloux, entre autres.

    Dans ce texte, Maclure reproche avec raison la contradiction de ceux qui considèrent comme une atteinte à leur liberté d’expression la poursuite en diffamation de Dalila Awada contre eux, car en effet la charte anti-voile qu’ils défendaient n’était-elle pas en soi une atteinte à la liberté d’expression ?

    Mais pour élaborer là dessus, Maclure enfile ensuite contradiction sur contradiction.

    Il donne au lecteur cette définition de la diffamation par Nicole Vallières : « est une atteinte à la réputation d’une personne physique ou morale, car elle sème envers cette personne, dans l’esprit du citoyen ordinaire et de la société en général, de la déconsidération. »

    Curieux, car pourtant Maclure en avait lui-même donné une définition plus complète juste avant : “lorsque l’on attaque des réputations et non des idées, que l’on tente de discréditer des personnes en propageant des propos mensongers, nous entrons sur le terrain de la diffamation.”

    La différence entre les deux définitions est que la notion de “mensonge” disparraît chez Vallières. Est-ce le but de deux définitions ?

    Chose certaine cette absence du mensonge rend la suite du raisonnement de Maclure bien tennable, mais contradictoire si on le remet en place.

    Il décrit ainsi la position des “diffamateurs” poursuivis : “je sais que les vidéos et les autres propos qui ont circulé au sujet de Dalila Awada et de ses proches sont nauséabonds et qu’ils ne contribuent nullement à la qualité de notre débat démocratique.

    Noséabonds ?

    Noséabond : Qui provoque le dégoût, la répulsion.

    Il est clair que Maclure a complètement mis de côté l’élément du mensonge pour ne conserver que la notion du discrédit de la réputation. Or, est-ce de la diffamation que de dire une vérité désagréable ? Biensûr que non. Ces personnes ont fait des liens entre Dalila Awada et certaines organisations musulmanes bien connues. Est-ce que Maclure conclu avant procès que ce sont des mensonges ? Il le faut bien car si celà est la vérité ces gens n’ont pas diffamé mais simplement dit une vérité.

    Mais il n’y a pas que ces personnes que Maclure juge ici, mais aussi les institutions musulmanes visées que Maclure décrit comme “nauséabondes”. Le sont-elles et pourquoi ? C’est alors Maclure qui diffame ces institutions.

    Il n’y a que deux conclusions possibles ici ; soi que Maclure est un incompétent ou aolors il a sciement planifié ce tour de passe pour tromper le lecteur.

  3. Les chrétiens sont persécutés au moyen-orient. ils sont victimes d’un terrible génocide en Syrie, ils ont été pratiquement exterminés en Égypte, au Liban, en Irak, en Iran, en Afrique.

  4. Merci Georges Tremblay et Madeleine aussi. Ces Maclure et Taylor, et quelques autres, sont une honte pour la philosophie. Ce n’est malheureusement pas la première fois.

  5. Ce qui est honteux, M. La Rivière, c’est que vous préfériez les insultes à la discussion.

  6. Jocelyn Maclure cite paradoxalement le texte de Pierre Trudel dont le sen général est de jeter un doute sur le bien fondé de la poursuite de Dalila Awada, notamment par ce passage:
    «Dans une société qui respecte les droits de tous, il faut évidemment respecter le droit à l’égalité. Mais il faut aussi respecter la liberté d’expression. Il ne suffit pas que les opinions exprimées soient déplaisantes pour que celles-ci soient automatiquement fautives.»