Lettre sur les tactiques de campagne du Parti conservateur

Contre la politique de propagation de la peur et de la haine

Nous sommes un groupe diversifié d’universitaires ayant des vues et des allégeances politiques différentes. Nous sommes unis par l’intérêt commun que nous partageons pour l’intégrité du processus démocratique et par notre inquiétude concernant le virage dangereux et mesquin dont nous avons été témoins plus récemment dans le contexte de la campagne électorale.

Dans les politiques électorales démocratiques, il y a une frontière éthique qui distingue les stratégies partisanes fougueuses des tactiques cyniques qui trahissent les valeurs de respect mutuel et de tolérance qui sont au cœur du discours démocratique civique. Les politiciens honorables ne franchissent pas cette ligne même quand ils pensent que cela leur serait politiquement avantageux. Les politiciens sans vergogne ignorent cette limite lorsque cela leur convient de le faire.

Le Parti Conservateur sous Stephen Harper s’est déjà approché dangereusement de cette ligne en suggérant que la religion est un critère approprié pour sélectionner les réfugiés et en attisant la peur du terrorisme comme prétexte pour révoquer la citoyenneté de certains concitoyens canadiens. Distinguer les « vieilles souches » canadiennes des nouvelles était également problématique et délibérément antagoniste. Progressivement, les Conservateurs semblent avoir opté pour une forme particulièrement perverse d’une « politique de la division ».

Toutefois, en injectant la rhétorique incendiaire des « pratiques culturelles barbares » dans le contexte de la campagne actuelle, le Parti Conservateur a franchi cette limite de manière flagrante. L’utilisation répétitive de cette phrase de même que la proposition de mettre en place une ligne d’appel afin d’identifier les indésirables font partie d’un calcul cynique en vue de distraire et de diviser la population en insinuant que certains de nos concitoyens respectueux et pacifiques sont, en fait, des barbares ennemis de la liberté qui menacent la société canadienne.

Les Conservateurs savent que le Canada ne fait nullement face à ces menaces et que la vaste majorité des citoyens, indépendamment de leur confession religieuse ou de leur origine culturelle, embrasse les droits et libertés fondamentaux sur lesquels notre démocratie s’édifie. En brandissant la menace fantôme que certains immigrants et membres de minorités religieuses sont les ennemis de ce pays, les Conservateurs espèrent opposer les Canadiens les uns contre les autres. Conformément aux méthodes sophistiquées de propagande vicieuse, l’invocation de barbarisme cherche à créer la peur et à susciter l’anxiété plutôt que d’identifier un problème réel.

Nous bénéficions de l’état de droit au Canada et ceci exige l’application égale de la loi. Ceux qui contreviennent à la loi doivent être traités à l’intérieur d’un système commun de justice criminelle. La mise en place d’un mécanisme spécifique destiné à cibler certaines minorités sous prétexte de vigilance supplémentaire est à la fois superflu et odieux. Les stratèges fourbes qui ont conçu cette campagne savent pertinemment que leurs objectifs ne seront pas bien servis par des attaques explicitement racistes et anti-religieuses ; ils nous demandent donc d’imaginer des barbares qui ne sont pas spécifiquement désignés mais qui seraient néanmoins réels. De sorte qu’on nous encourage à diaboliser ceux qui sont différents de nous et dont nous ne partageons ou ne comprenons pas les religions ou pratiques culturelles. Dans le contexte actuel, cela équivaut à de l’incitation à la haine et cela n’a pas sa place au sein de la démocratie canadienne.

Nous ne nions pas qu’il y a lieu de discuter et de débattre au sujet du pluralisme religieux, culturel et linguistique au sein des démocraties contemporaines. En effet, les chercheurs canadiens ont été à l’avant scène du développement des théories juridique et politique sur ces questions. Mais le point de départ commun à toutes ces discussions a toujours été caractérisé par un engagement envers les principes de civilité, de décence et de tolérance.

La tolérance ne requiert pas que l’on doive aimer ou soutenir les pratiques culturelles et religieuses des autres, mais cela exige que l’on se retienne d’insulter la dignité de ceux et celles avec qui nous sommes en désaccord. Les Conservateurs ont montré leur mépris envers une politique de respect mutuel. Nous condamnons la stratégie immorale des Conservateurs qui couvre la politique canadienne de honte. Nous espérons que les Canadiens se joindront à nous pour répudier cette politique de la haine. À la place de quoi, embrassons une vision plus noble du discours civil qui serait véritablement orienté vers l’accomplissement du bien commun de tous les Canadiens et Canadiennes.

Par Avigail Eisenberg (University of Victoria), Colin Macleod (University of Victoria), Jocelyn Maclure (Université Laval), Daniel Weinstock (McGill University) et traduction française de Ryoa Chung (Université de Montréal). Au moment de la parution de cette lettre, plus de 600 signatures ont été recueillies. Pour voir la liste complète des signataires, cliquer ici : http://induecourse.utoronto.ca/open-letter-regarding-conservative-party-campaign-tactics/

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