Par Jocelyn Maclure et Daniel Weinstock
Ainsi, Pierre-Karl Péladeau estime que le fleurdelisé devrait être mis en berne tous les 17 avril pour commémorer la date funeste à laquelle la Loi constitutionnelle de 1982 fut mise en vigueur. Selon celui qui vient d’être élu député de Saint-Jérôme et candidat potentiel à la chefferie du Parti Québécois, c’est ce jour que s’installa au Canada un « gouvernement des juges », qui fut particulièrement fatidique pour les deux grands acquis de la Révolution tranquille: l’affirmation du fait français et la laïcité.
La lettre de M. Péladeau touche à des questions qui sont sans aucun doute très importantes. Il y est question de l’équilibre entre les différents pouvoirs dans une démocratie libérale, et du partage des compétences entre partenaires dans une fédération. Malheureusement, le propos ne se hisse pas au-delà de la caricature.
Commençons par l’idée que la Constitution de 1982 a instauré un gouvernement des juges. C’est justement afin d’éviter que l’enchâssement d’une Charte donne lieu à un tel déséquilibre que les auteurs de la Constitution ont mis en place deux dispositions qui limitent le pouvoir des tribunaux. Premièrement, l’article 1 de la Charte prévoit que les droits et libertés peuvent être limités lorsqu’il est possible de démontrer que de telles limites sont nécessaires à l’atteinte d’un objectif sociétal important. La Cour suprême du Canada a à de nombreuses reprises utilisé cette disposition pour valider des législations qui auraient autrement été jugées inconstitutionnelles. Comme notre collègue Sébastien Grammond le rappelle, c’est ainsi que l’essentiel de la loi 101 a été validé par la Cour suprême. Ce sont des dispositions particulières de la loi 101 qui ont été jugées inconstitutionnelles, comme l’obligation pour les commerces d’afficher exclusivement en français. M. Péladeau tourne les coins ronds lorsqu’il écrit que « les magistrats fédéraux ont invalidé à trois reprises cette législation depuis 1982 ».
Ensuite, comme le savent très bien les ténors du Parti Québécois qui voulaient en faire usage pour sauver le projet de loi 60, la Constitution de 1982 contient une « clause dérogatoire » qui permet à n’importe quel gouvernement canadien de mettre en vigueur une législation qui risquerait d’être invalidée par l’application des articles 2 et 7 à 15 de la Charte.
Ce faisant, plutôt que d’instituer un gouvernement des juges, la Constitution de 1982 met plutôt en place un « dialogue »—pour utiliser l’expression du grand constitutionnaliste Peter Hogg—entre les pouvoirs législatif et judiciaire. Ce dialogue est imparfait, mais il éloigne néanmoins le modèle canadien de l’absolutisme des droits et du pouvoir judiciaire auquel a notamment donné lieu la Constitution américaine.
Il serait cependant abusif de prétendre que la Charte de 1982 n’a pas augmenté le pouvoir de la branche judiciaire. Ce pouvoir a-t-il été utilisé de manière « politique » par les juges de la Cour suprême du Canada? Le pouvoir dont dispose le premier ministre du Canada de nommer les juges s’est-il traduit par une extension de son pouvoir? Là encore, il serait difficile de défendre une position unilatérale.
Bien que le processus de nomination des juges à la Cour suprême soit hautement problématique, Stephen Harper serait le premier surpris d’apprendre que ses nominations l’ont aidé à poursuivre son agenda politique. La Cour suprême l’a notamment débouté ces derniers mois dans l’affaire du juge Nadon, sur des questions relatives à la prostitution et à la règlementation des drogues, ainsi qu’en matière de droit criminel. Notons que dans l’affaire Nadon, la décision de la Cour suprême a explicitement invoqué les intérêts légitimes du Québec afin de barrer la route au candidat choisi par le premier ministre.
La Cour suprême a aussi souvent invoqué le principe du fédéralisme afin de limiter le pouvoir du gouvernement fédéral. Outre l’affaire Nadon, elle a dans son Renvoi sur la reproduction assistée émis le principe voulant que lorsqu’il y a une ambigüité sur la question de savoir si une question relève de la compétence fédérale (en droit criminel, par exemple) et une compétence provinciale (en matière de santé, par exemple), le principe fédéral exige que ce soit la compétence provinciale qui l’emporte.
Bref, il est loin d’être clair que la Charte ait institué un gouvernement des juges, que ces juges se soient comportés de manière « politique », ou bien qu’ils aient usé de leurs pouvoirs pour contrer les intérêts du Québec. On est très loin de la « Cour politique suprême » imaginée par M. Péladeau.
M. Péladeau affirme aussi que la Charte et la Cour suprême menacent cet acquis de la Révolution tranquille qu’est la laïcité. On passera rapidement sur la plausibilité historique de cette étonnante affirmation. En quoi la Loi constitutionnelle de 1982 était-elle responsable du fait qu’il y avait au Québec des écoles et des commissions scolaires confessionnelles jusqu’à la fin des années 1990, et que les cours de catéchèse n’ont disparu de nos écoles qu’en 2007? Le droit à l’égalité et à la non-discrimination prévu dans la Charte aurait normalement dû invalider les lois québécoises permettant des privilèges aux Catholiques et Protestants et favoriser ainsi le développement de la laïcité québécoise. C’est toutefois l’utilisation du pouvoir de dérogation par les gouvernement québécois successifs, péquistes et libéraux, qui a permis le maintien des privilèges aux Catholiques et aux Protestants!
Raccourcis historiques mis de côté, c’est clairement à la politique multiculturaliste que M. Péladeau en veut. C’est elle qui aurait ralenti la progression du Québec vers la laïcité.
Encore une fois, c’est aller très vite en affaires que de prétendre qu’il y avait un acquis laïque au Québec qui aurait été battu en brèche par la Loi constitutionnelle de 1982 et l’article 27 sur le multiculturalisme. Premièrement, il faut se rappeler que si la Constitution canadienne ne reconnait aucune religion officielle, elle n’affirme pas non plus explicitement la laïcité de l’État ou la séparation entre les pouvoirs politique et religieux. La laïcité s’est imposée de façon indirecte au Québec et au Canada en bonne partie grâce aux décisions judiciaires qui ont graduellement reconnu le droit à l’égalité et à la liberté de religion des citoyens appartenant à des groupes religieux minoritaires, dont les Juifs et les Témoins de Jéhovah. L’adoption des chartes québécoise et canadienne a renforcé et confirmé la laïcité au Québec et au Canada.
Deuxièmement, c’est faire preuve d’une grave incompréhension des concepts en jeu que de penser que le multiculturalisme et la laïcité s’opposent. Au contraire, ils résultent de l’application des mêmes principes! Le multiculturalisme canadien est entre autres une implication du principe selon lequel l’État, dans une société démocratique respectueuse de l’autonomie individuelle, ne peut intervenir pour limiter les choix identitaires des citoyens que si une finalité urgente l’exige, et que si la limitation qu’il prévoit est aussi parcimonieuse que possible.
Bien sûr, la Charte canadienne aurait probablement invalidé des articles du projet de loi 60, la soi-disant « Charte des valeurs québécoises ». Mais ce n’est pas en vertu d’une quelconque velléité multiculturaliste qu’elle l’aurait fait, mais bien parce que plusieurs dispositions de ce projet de loi restreignaient inutilement et abusivement des droits fondamentaux. Le gouvernement du Parti Québécois savait d’ailleurs très bien que son projet violait aussi la Charte québécoise des droits et libertés. C’est la raison pour laquelle son projet de loi ne se présentait pas comme un « simple » projet de loi, mais plutôt comme un amendement de la Charte québécoise, qui aurait été édentée comme outil de protection de droits individuels si elle avait été adoptée par l’Assemblée Nationale.
La Constitution canadienne est-elle parfaite? Bien sûr que non. Mais les accusations formulées à son endroit par M. Péladeau ne tiennent pas la route. S’il espère devenir le leader du mouvement souverainiste, il sera important qu’il s’adresse aux citoyens québécois autrement que sur le mode de la caricature et de la demi-vérité.
The idea that the Constitution was somehow imposed upon Quebec makes me crazy. Let’s not forget who elected the federal government that imposed it. Here is where Trudeau drew his support in the 1980 election:
Province………Number of seats
British Columbia……0 out of 28
Alberta……………..0 out of 21
Saskatchewan……….0 out of 14
Manitoba……………2 out of 14
Ontario………………52 out of 95
Quebec……………..74 out of 75
New Brunswick………7 out of 10
Nova Scotia…………5 out of 11
PEI……………………2 out of 4
Newfoundland………….5 out of 7
Northwest Territories..0 out of 2
Yukon………………..0 out of 1
Trudeau won more seats in Quebec than in the rest of the country combined. That is the mandate with which he patriated the Constitution and introduced the Charter of Rights and Freedoms.
Hi Mr. Heath,
Interesting, but one could argue against your point that this federal mandate was about a number of things -amongst them a *project* of constitution, and that the particular project that was adopted was unanimously decried by the provincial legislature.
I don’t remember the exact wording used at the national assembly at the time… anyone has the info ? Was it against the project itself or against the procedure, the alleged isolation of QC ? 74 out of 75 at the federal level… the loner must have been Roch Lasalle… anyone remembers how he voted on the rapatriement ?
I remember reading in Cité Libre, in the nineties, very good arguments in favor of the idea that the constitution was not imposed in any way upon Quebec. Sadly, I don’t remember the arguments…
Très bon texte, mais encore peut-on faire de sérieuses objections à l’encontre de la thèse selon laquelle la disposition autorisant la suspension des droits, l’article 33 de la charte constitutionnelle, doit servir à structurer un “dialogue” entre les législateurs et les tribunaux. À ma connaissance, cette thèse, qui devait exercer une fonction de légitimation du contrôle judiciaire de constitutionnalité des droits et libertés dans les années 1980-1990 (1) résiste mal à une prise en compte de la pratique effective (du moins hors Québec), (2) ne tient pas suffisamment compte de l’arbitraire avec lequel le constituant de 1982 a autorisé la dérogation à certains droits (pas toujours les plus importants) et non à d’autres, (3) ne tient pas suffisamment compte non plus de l’interprétation de l’article 33 que devrait (et qu’aurait dû) favoriser la méthode téléologique et comparative d’interprétation qui est celle de la CSC en général et qu’elle a appliqué à l’interprétation de nombreux droits de la charte (dont celui de l’article 7) et (4) entretient une conception de la suspension des droits qui va à l’encontre des standards internationaux. S’agissant de l’article 33, la théorie du dialogue tient à mon sens largement du mythe. Or, si ce mythe pouvait avoir une certaine fonction dans les 1990 encore, j’en doute aujourd’hui.