Le Rapport Godbout-Montmarquette : une place pour l’éthique économique et sociale?

Le débat d’éthique sociale et économique sur les finances publiques est très polarisé au Québec. Peu tentent de se frayer un chemin entre le discours du « Québec qui vit au dessus de ses moyens » et celui de la « dérive néolibérale ». C’était une des vertus de l’essai La juste part de mes collègues David Robichaud et Patrick Turmel de tenter de le faire. Le débat sur le Rapport Godbout-Montmarquette n’a pas jusqu’ici généré une réflexion collective à la hauteur des défis qui attendent le Québec. Tant la conception étriquée de la démocratie promue par M. Montmarquette que les attaques ad hominem contre les deux auteurs sont désolantes.

Cela étant dit, j’ai été déçu par les brèves recommandations proposées par les deux économistes. Admettons d’abord que leur rapport a été réalisé incroyablement rapidement et qu’il a la grande vertu de nous offrir le portrait le plus à jour de nos finances publiques. On sait maintenant que le déficit anticipé est de 3,145 milliards plutôt que de 2,5 milliards de dollars pour l’année 2013-2014, et de 3,7 milliards plutôt que 1,75 milliards pour l’année suivante.

Être préoccupé par nos finances publiques n’implique pas que l’on soit contre l’intervention de l’État ou que l’on dramatise la situation budgétaire du Québec. Comme l’explique Pierre Fortin, le ratio dette publique/PIB n’est pas, à 54%, catastrophique. Il note aussi, toutefois, que cela est largement dû à la rigueur budgétaire des gouvernements de 1996 à 2008. C’est d’ailleurs parce que le Québec n’accumulait pas déjà les déficits qu’il a pu adopter sans grands déchirements des mesures keynésiennes de stimulation de l’économie dans la foulée de la crise financière de 2007. Ces mesures lui ont permis de sortir relativement rapidement de la récession, en dépit de la lente reprise des États-Unis. Mais comme la croissance économique est faible, que la population active diminue et que les coûts du système de santé continuent d’augmenter, la sortie des déficits post-crise financière est difficile. J’ai ainsi un peu de mal à comprendre ceux qui soutiennent que nous subissons depuis quelques années des « mesures d’austérité ». Doit-on comprendre de leur position que le Québec aurait dû et devrait continuer à faire des déficits plus importants ?

Il est possible de souhaiter que les déficits se résorbent et que le poids de la dette diminue afin que le Québec ait les moyens de financer les politiques de solidarité sociale, d’égalité et d’employabilité qui en font une société distincte en Amérique du Nord. Comme je l’ai souligné dans mon dernier billet, le Québec a consolidé et développé ses politiques sociales du Sommet sur l’économie de Lucien Bouchard en 1996 jusqu’à la crise financière en 2007 tout en améliorant le ratio dette/PIB.

Il sera donc difficile d’éliminer les déficits et de faire diminuer le poids de la dette à court et moyen termes. Des mesures peuvent évidemment être mises en œuvre pour stimuler l’économie, mais il faut vraisemblablement planifier en fonction d’une croissance économique faible dans les prochaines années. Comme les auteurs du rapport doutent que la révision des programmes puisse permettre le contrôle des dépenses souhaité, ils suggèrent qu’un« comité chargé de réfléchir à une révision du régime fiscal des particuliers et des entreprises, pour soutenir davantage la croissance économique et récompenser l’investissement, le travail et l’effort », soit créé.

Godbout et Montmarquette ne cachent pas leur préférence pour une réduction du fardeau fiscal des particuliers et des entreprises. Ils font l’hypothèse que ces incitatifs favoriseront la productivité et l’innovation et, ce faisant, la croissance.

Ce positionnement ne va pas de soi. Si les inégalités n’ont pas trop cru au Québec, il n’en demeure pas moins que l’impôt sur les profits des entreprises et les gains en capital n’est pas particulièrement élevé. De plus, le seuil d’imposition marginal supérieur débute à 100 000$. N’y a-t-il pas lieu d’examiner l’impact d’une hausse des taux marginaux d’imposition pour les très fortunés? Est-ce acceptable que le taux d’imposition marginal d’un contribuable qui a des revenus de 100 000$ soit le même que celui dont les revenus dépassent 500 000$? Jusqu’où pouvons-nous augmenter les taxes sur le capital ou sur la richesse sans que cela n’entraîne des pertes d’efficience significatives qui auraient un impact négatif sur nos politiques redistributives? Nous vivons, après tout, dans un monde post-Piketty! S’il voit jour, le comité devra ratisser beaucoup plus large dans ses questionnements et il devra analyser l’impact d’une gamme d’options fiscales sur notre régime de justice distributive. Les économistes ne pourront mener seuls ce questionnement.

En terminant, je voudrais mettre en relief un aspect du Rapport qui n’a pas été abordé dans les commentaires dont j’ai pris connaissance jusqu’ici. Les auteurs écrivent :

« Sans changer globalement les revenus fiscaux, on peut gagner quelques dixièmes de points de croissance économique en diminuant les impôts sur le revenu des particuliers et des entreprises – cette diminution étant compensée par une augmentation équivalente des taxes à la consommation et des tarifs. La raison est simple : en réduisant les impôts sur le revenu du travail et sur les profits, on augmente la rentabilité du travail et des investissements. Le capital et le travail sont deux facteurs majeurs de la croissance économique. En accroissant l’offre de ces facteurs de production, on augmente la croissance économique. L’augmentation de la croissance économique permet par ailleurs de dégager une marge de manœuvre financière qu’il est possible d’utiliser pour neutraliser le caractère régressif des tarifs ou des taxes à la consommation, en transférant des ressources aux plus démunis. »

Les réductions d’impôts seraient ainsi compensées par une augmentation de certains tarifs et des taxes à la consommation. Plusieurs voient d’un bon œil l’idée d’une taxe sur les produits de luxe ou d’une taxe à la consommation progressive. De plus, même si certains progressistes se réveillent la nuit pour détester les tarifs, le principe d’une tarification progressive ne devrait pas être mis à l’index. Se demander s’il est souhaitable de subventionner aussi généreusement qu’à l’heure actuelle la consommation par les mieux nantis de certains biens collectifs ne devrait pas valoir un anathème.

Bref, l’examen de notre régime fiscal soulève des questions d’éthique économique et sociale qui devront être abordées de front. Tous les leviers fiscaux devront être examinés, et un éventail équilibré de mesures peut potentiellement nous permettre de concilier correctement les impératifs de justice sociale et d’efficience, tout en jouissant d’une acceptabilité sociale plus grande. Si on peut demander à la gauche de dépasser le réflexe de la critique  du “démantèlement de l’État” et du “néolibéralisme”, on peut demander à la droite de ne pas disjoncter si l’augmentation du fardeau fiscal des plus fortunés et des entreprises est contemplée.

Comments

Le Rapport Godbout-Montmarquette : une place pour l’éthique économique et sociale? — 1 Comment

  1. Je suis plutôt en faveur de prendre la dette au sérieux, surtout en période de faible inflation. Mais il peut être intéressant de rappeler que notre dette per capita est moins importante en comparaison à d’autres provinces canadiennes, notamment l’Ontario.