Le financement des écoles, prise 2: Une réponse à Jocelyn Maclure

La question du financement des écoles est de la plus haute importance pour la société québécoise. L’école est un des seuls leviers dont dispose l’État pour promouvoir l’égalité des chances. Les enfants naissent dans des conditions fort différentes. Certains naissent pauvres, alors que d’autres naissent riches. Certains naissent dans des familles qui favorisent de toutes sortes de manières le succès scolaire et professionnel de leurs enfants, alors que d’autres naissent dans des conditions familiales plus difficiles. Ces inégalités de conditions initiales risquent fort de se répercuter tout au long de la vie des enfants, à moins que l’école n’intervienne pour égaliser un peu les chances.

Force est de constater que l’école québécoise ne relève que médiocrement le défi de contribuer à une réelle égalité des chances. C’est à mon avis surtout le financement partiel des écoles privées qui pose problème. En effet, en subventionnant les écoles privées à hauteur de 60% environ, l’État québécois permet à la classe moyenne de se désolidariser des tranches moins aisées de la société en envoyant leurs enfants dans des établissements qui ne coutent « que » $3000 ou $4000. Une bagatelle pour les professionnels, mais un Everest infranchissable pour bon nombre de nos concitoyens moins fortunés.

La désolidarisation des classes moyennes mène à une spirale perverse. En ôtant leurs enfants des écoles publiques, les classes moyennes n’enlèvent pas que des subventions aux écoles publiques. Ils les privent également du capital social dont ils disposent. Les écoles publiques en pâtissent, ce qui fournit aux parents de classe moyenne des arguments supplémentaires pour ne pas y envoyer leurs enfants.

La solution semble claire. La qualité de l’enseignement que reçoivent les enfants québécois ne devrait pas refléter la capacité de leurs parents à payer. Si l’État québécois cessait de financer les écoles privées, une proportion importante de ceux qui envoient présentement leurs enfants dans des écoles privées seraient contraints d’envoyer leurs enfants dans le réseau public (un réseau qui, il faut bien le rappeler, comprendrait alors des écoles qui sont présentement dans le réseau privé). Plutôt que de se désolidariser de leurs concitoyens moins fortunés en envoyant leurs enfants dans des écoles de meilleure qualité, ils investiraient le réseau public, et insisteraient pour que les écoles de ce réseau soient elles aussi de qualité.

Dans son important billet sur cette question, mon ami Jocelyn Maclure reconnait la force de cet argument. Mais il fait état de plusieurs facteurs qui compliquent à son avis la donne. Premièrement, la vision d’une école uniforme, dont le curriculum serait entièrement déterminé par l’État, a quelque chose de cauchemardesque. La diversité à l’intérieur du système scolaire est désirable, et la coexistence au sein de notre système d’écoles privées, d’écoles publiques, et d’écoles à vocations particulières, permet une telle coexistence. Deuxièmement, les parents ont le droit, tant le droit moral que le droit positif enchâssé dans de nombreuses Chartes internationales, de choisir des écoles pour leurs enfants qui reflètent leurs conceptions de la vie bonne. Troisièmement, la fin du financement des écoles privées ferait de sorte que seuls les très riches auraient les moyens d’y envoyer leurs enfants. Il en découlerait une séparation encore plus importante que celle qui prévaut actuellement entre les couches les plus fortunées de la société et le reste.

Ces considérations sont bien sûr tout à fait pertinentes. Mais je ne pense pas qu’elles suffisent pour nous forcer à remettre en question l’idéal d’un financement égalitariste des écoles.

Je suis pour commencer parfaitement d’accord avec Jocelyn que la mixité scolaire est désirable. Mais un financement égalitariste des écoles n’entrainerait pas logiquement l’uniformité au niveau de l’offre. Si l’État québécois décidait demain de ne plus subventionner les écoles privées, les écoles qui ont présentement ce statut dans le système scolaire québécois ne fermeraient pas leurs portes. Elles recruteraient leurs élèves en se rendant attractives aux parents de toutes conditions sociales et économiques, plutôt qu’en exploitant la capacité ou la volonté de certains parents à payer. Des écoles à vocations particulières – artistiques, scientifiques, alternatives, et ainsi de suite – pourraient continuer à exister. La présence de telles écoles dans le système public actuel démontre d’ailleurs que financement égalitariste et diversité de l’offre peuvent coexister. Par ailleurs, on pourrait bien imaginer que certaines écoles qui sont présentement dans le système privé y demeurent, et qu’elles aient notamment de ce fait une certaine indépendance au niveau du curriculum, mais que la condition de leur financement par l’État soit qu’elle ne perçoivent pas de financement supplémentaire des parents.

Un système scolaire égalitariste changerait par ailleurs les conditions d’accès aux écoles à vocation particulière. Le système public québécois fait un usage à mon sens très difficile à justifier d’examens d’entrée, avec l’effet de privilégier l’accès à ces écoles d’enfants provenant de certains types de familles, ou de familles ayant les moyens financiers pour payer à leurs enfants des cours dont la seule fonction est de les préparer à passer ces examens d’entrée.

Passons maintenant à l’argument du droit dont disposeraient les parents à pouvoir choisir le type d’enseignement que recevront leurs enfants. Ce droit existe, mais il doit respecter certaines limites. Je pense que l’on peut reconnaitre ce droit parental tout en insistant sur le fait qu’il ne devrait pas impliquer le droit des parents à user de leurs ressources financières pour procurer un avantage compétitif à leurs enfants. Les parents ont le droit de choisir une école qui permet maximalement à leurs enfants de s’épanouir. Par exemple, des parents dont les enfants auraient un talent musical devraient pouvoir trouver sur le « marché » scolaire des écoles appropriées aux dispositions particulières de leurs enfants. (La question de savoir si les parents devraient avoir le droit à ce que l’État finance des écoles à vocation culturelle ou religieuse est plus controversée. Il est permis de penser qu’entre la vie de famille et l’instruction religieuse que les enfants reçoivent dans les lieux de culte, les parents disposent déjà de leviers suffisants pour assurer la transmission culturelle et religieuse). Mais cela ne veut pas dire que les parents devraient avoir le droit d’acheter des avantages pour leurs enfants, avantages qui, par ailleurs, reconduisent et durcissent des inégalités de départ. L’avantage compétitif n’est pas une conception de la vie bonne.

Reste le problème de l’isolement des ultra-riches auquel donnerait lieu un régime égalitariste qui cesserait de financer les écoles privées (ou, pour être plus précis, qui établirait comme condition du financement d’écoles privées qu’elles ne perçoivent pas de frais de scolarité supplémentaires des parents). L’atteinte d’un niveau tolérable d’égalité des chances ne me semble pas dépendre du fait que tous les enfants québécois fréquentent les mêmes écoles. Les ultra-riches trouveront de toute façon toujours des moyens de se désolidariser du sort de leurs concitoyens moins fortunés, et les moyens dont dispose l’État pour les empêcher de le faire sont fort limités. Ce qui importe, c’est que la vaste majorité des enfants se côtoient à l’école. Nous pourrions atteindre cet objectif en ôtant aux parents de classe moyenne (dont je suis!) l’opportunité de nous désolidariser du sort éducatif des enfants moins fortunés. Plutôt que de mettre de l’argent de côté pour que nos enfants puissent fréquenter des écoles privées « de qualité », consacrons plutôt nos énergies à ce que tous les enfants québécois puissent avoir accès à de telles écoles.

 

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