J’ai récemment eu la chance d’avoir à expliquer, à l’émission de radio Plus on est de fous, plus on lit, pourquoi je considère qu’il est toujours pertinent de lire John Stuart Mill aujourd’hui. Les raisons ne manquent pas. Dans le temps qui m’était imparti, j’ai surtout insisté sur sa défense de l’individualité et sa critique du paternalisme de l’État ou de l’opinion majoritaire. Pour Mill, on peut légitimement interdire des comportements au nom du tort qui pourrait être causé à autrui, mais jamais pour protéger les individus contre eux-mêmes. Les individus doivent être libres de faire leurs propres expériences, et ils doivent assumer les conséquences de leurs actes. Prévenir le « tort à soi » ne justifie pas, selon lui, la restriction de la liberté. Or, plusieurs positions défendues dans nos débats publics sont fondées au moins en partie sur l’idée que l’État ou la majorité connaît mieux les intérêts des certaines personnes que ces personnes elles-mêmes; pensons, par exemple, au débat sur le sens du hijab, sur les mères porteuses, sur la prostitution ou sur le statut juridique de l’union de fait.
J’ai profité de l’occasion pour m’intéresser davantage à la vie de Mill. J’avais trouvé son autobiographie un peu ennuyante à la première lecture il y a plusieurs années. Lire sur la vie de Mill, c’est quand même beaucoup moins passionnant que de lire la biographie de Jean-Paul Sartre ou de Bertrand Russell. Disons que Mill a eu une vie un peu plus excitante que celle de Kant, mais pas mal moins que celle de Foucault! Cela dit, j’ai été fortement impressionné par le caractère de Mill, par son intégrité morale. Mill n’était pas du genre à renier ses principes pour servir ses intérêts.
Un des points communs entre les blogueurs de In Due Course est sans aucun doute notre impatience devant ce que Harry Frankfurt a appelé la bullshit, le baratin. Or, Mill n’était pas du genre à dissimuler le fond de sa pensée pour plaire ou pour obtenir des privilèges. Vers la fin de sa vie, il a accepté de se présenter aux élections pour obtenir un siège à la Chambre des communes. Il a prévenu ses supporteurs, avant d’accepter, qu’il resterait toujours fidèle à ses principes. Dans une assemblée publique à laquelle plusieurs ouvriers prenaient part, Mill a eu à dire s’il avait bel et bien, dans des écrits antérieurs, qualifié les travailleurs de « menteurs ». Mill a sans hésité répondu par l’affirmative :
In the pamphlet, « Thoughts on Parliamentary Reform, » I had said, rather bluntly, that the working classes, though differing from those of some other countries, in being ashamed of lying, are yet generally liars. This passage some opponent got printed in a placard, which was handed to me at a meeting, chiefly composed of the working classes, and I was asked whether I had written and published it. I at once answered « I did .» Scarcely were these two words out of my mouth, when vehement applause resounded through the whole meeting. It was evident that the working people were so accustomed to expect equivocation and evasion from those who sought their suffrages, that when they found, instead of that, a direct avowal of what was likely to be disagreeable to them, instead of being affronted, they concluded at once that this was a person whom they could trust. (Autobiography, Wildside Press, p. 181)
Mill a défendu plusieurs causes progressistes, dont la représentation proportionnelle et l’extension du suffrage aux femmes, pendant son mandat de trois ans, et il n’a pas été réélu à l’élection suivante. Il faut dire qu’il accepté de servir davantage par sens du devoir que par passion pour la vie politique active.
Je me demande depuis longtemps pourquoi il n’y a pas davantage de candidats et d’élus qui font le pari de la vérité. Cela serait un pari risqué, mais la mise est importante. Le dégout envers les baratineurs et les adeptes de la langue de bois est tellement grand qu’un(e) élu(e) qui aurait le courage de dire la vérité et même de compromettre ses chances de réélection afin de respecter ses principes pourrait susciter beaucoup d’enthousiasme. Bon, je ne retiendrai pas mon souffle, mais cela ne prendrait qu’une petite mouvance de candidats prêts à faire passer les principes et le souci du bien commun avant les intérêts stratégiques pour insuffler un nouveau souffle à notre vie démocratique. Ici encore, Mill peut servir de guide.
It this context, it is worth pointing out that the position Tom Flanagan was defending, when he got into so much trouble over child pornography, was basically just Mill’s view. Anyone who has ever taught Mill’s On Liberty should have been rightly alarmed by the episode.
Re: Mill and Flanagan – any applied version of Mill’s principles to contemporary politics would strike many of today’s “liberals” as radically conservative (cf. the opposition to Trinity Western law school). Of course, an applied version of Mill would also be well to the left of, say, the Liberal Party in other ways.
But in a way these facts are a mark of the cultural dominance of a broadly Millian worldview: people embrace one aspect or another of it as it suits them, because his general principles are pretty widely accepted, even if we’re divided about when or how to apply then.