Le gouvernement Couillard soupèse l’idée d’augmenter modérément le tarif des places en CPE pour les familles fortunées. Comme c’est toujours le cas lorsqu’il s’agit des questions touchant à la tarification des services publics, ce ballon d’essai suscite un débat passionné. Une des dimensions particulièrement intéressantes du débat sur la tarification progressive des places en garderies qui sont présentement à 7$ est qu’on peut s’y opposer pour des raisons qui sont elles-mêmes diamétralement opposées.
D’un côté, des personnes qui ne sont pas du tout à droite s’insurgent contre l’idée de devoir payer davantage que les ménages dont les revenus sont plus modestes en raison du fait qu’ils paient déjà, toutes proportions gardées, plus d’impôts que ceux qui sont moins fortunés. Comme notre système d’imposition progressive fait déjà en sorte que le taux marginal d’imposition des mieux nantis est plus élevé, il serait inéquitable de leur demander en plus de payer davantage pour des services publics. Autrement dit, la progressivité de l’imposition doit aller de pair avec l’uniformité des tarifs pour être équitable. Ces personnes ne militent pas nécessairement pour des baisses d’impôt, mais ils considèrent qu’ils font déjà largement leur juste part. Leur position n’est pas du tout frivole, mais je ne vais pas tenter de la contredire ici.
De l’autre côté, des progressistes, comme je le disais dans un billet récent, se réveillent la nuit pour haïr la tarification. Contrairement aux premiers, ceux-ci soutiennent qu’il serait plus juste d’ajouter des paliers d’imposition pour les mieux nantis que de moduler les tarifs en fonction des revenus. Possiblement parce que la tarification est associée à la droite économique et à l’idéologie de l’ « utilisateur-payeur », même l’idée d’une tarification progressive est rejetée. C’est à l’imposition progressive de redistribuer la richesse, pas à la tarification.
Manon Massée, ma députée, pour laquelle j’ai voté, écrit par exemple sur sa page Facebook :
Augmenter les tarifs des garderies subventionnées pour les personnes à hauts revenus peut paraître une idée séduisante à première vue, mais l’impôt sur le revenu devrait être là pour ça. Le gouvernement libéral dit vouloir diminuer les frais de gestion de l’État québécois, mettre fin à l’universalité des tarifs de garderie est un choix idéologique qui signifierait plus de bureaucratie et une porte ouverte pour presser le citron aux familles de la classe moyenne.
Je n’ai toutefois pas encore trouvé l’explication et la justification de la proposition voulant que seule l’imposition progressive puisse favoriser l’égalité et la solidarité. La tarification progressive, après tout, fait payer les plus riches pour des services qu’ils désirent obtenir. S’il s’agit, par exemple, d’augmenter modérément le prix des places dans les CPE, les droits de scolarité ou les tarifs d’hydroélectricité pour les plus fortunés, nous demeurons loin d’une application intégrale du principe régressif de l’ « utilisateur-payeur ». Il s’agit plutôt de faire payer un peu plus le bénéficiaire d’un service public qui en a les moyens. (Je note aussi qu’une tarification modulée en fonction du revenu pourrait aussi permettre de diminuer les tarifs pour les ménages les plus pauvres, ce qui serait particulièrement souhaitable en ce qui concerne les places en CPE. Ce n’est pas le seul moyen. Des crédits d’impôt remboursables peuvent aussi permettre de le faire).
Il faut éviter, lorsqu’il est question des politiques fiscales et de justice distributive, le sophisme du faux dilemme. Ce n’est pas parce que l’on pense que la tarification progressive doit être envisagée que l’on ne peut pas soutenir l’impôt progressif, la taxation du capital ou la lutte contre l’évasion fiscale. Il s’agit de se rapprocher de l’assortiment de mesures fiscales qui concilient le mieux équité, solidarité et efficience.
L’impôt progressif demeure la pierre angulaire d’un schème redistributif qui se veut égalitariste. Mais il ne faut pas non plus en faire un fétiche. Pourquoi ne pas au moins réfléchir à l’idée d’augmenter modérément les impôts des membres du 10%, du 5% et du 1% les plus riches, et d’augmenter modérément les tarifs de certains services collectifs ?
Lorsque l’on défend la position qu’il est préférable d’ajouter des paliers d’imposition plutôt que de moduler les tarifs en fonction des revenus, on dit que ceux qui, par exemple, n’ont pas d’enfants doivent financer à la même hauteur les services de garde que les parents qui en bénéficient. Je suis parfaitement d’accord avec l’idée que ceux qui n’ont pas d’enfants bénéficient du fait que certains de leurs concitoyens ont des enfants, mais ils n’en bénéficient quand même pas autant que les parents qui, comme moi, ont des enfants en CPE. Ce principe est d’ailleurs déjà à l’œuvre. Après tout, les places en CPE ne sont pas gratuites. Les progressistes qui s’opposent à la tarification progressive considèrent-ils qu’il ne devrait pas y avoir de tarif du tout ou que 7$/jour est le montant maximal qu’il faut demander aux familles ?
Il se peut que quelque chose m’échappe. Changer d’idée sur les vertus de la tarification progressive, en fait, me faciliterait la vie, en plus de m’éviter de devoir payer davantage pour les places en CPE de mes enfants! Il se peut, comme le suggère Manon Massé, que la modulation en fonction du revenu alourdirait la bureaucratie et serait ainsi inefficiente. Il faudrait, pour établir cela, savoir comment la tarification progressive serait administrée. Si c’était le cas, il faudrait en effet rejeter cette idée.
De façon générale, toutefois, je crois qu’un travail plus substantiel est nécessaire pour justifier la fixation sur l’impôt progressif et le rejet corrélatif de la tarification progressive. La question de l’équité entre les bénéficiaires et les non-bénéficiaires des services publics devrait être prise en considération. Si des lecteurs du blogue connaissent des textes sérieux qui abordent ces questions, je suis preneur.