Le gouvernement du Parti libéral a sagement décidé de ne pas déposer en catastrophe un projet de loi sur la laïcité ou la neutralité religieuse de l’État avant la fin de la dernière session parlementaire. La précipitation n’est pas de mise lorsqu’il est question d’enjeux aussi profonds et délicats. Cela étant dit, le gouvernement libéral a maintenant une obligation de résultat dans ce dossier.
Le Parti québécois est entièrement responsable du fiasco qu’a été son projet de Charte de la laïcité. Les problèmes et les risques inhérents à la démarche du PQ ont été identifiés dès que le projet de Charte a été coulé dans les médias. Il faut néanmoins admettre que l’attitude du gouvernement Charest eu égard aux questions identitaires a pavé la voie à l’approche populiste du PQ. On se rappellera que le PLQ a rapidement fait comprendre qu’il ne donnerait pas véritablement suite aux recommandations du Rapport Bouchard-Taylor et qu’il ne voulait pas approcher les questions liées à l’identité et à la place de la religion dans l’espace public avec une perche. Kathleen Weil, alors ministre de la justice, a bien tenté de faire adopter le projet de loi 94, qui énonçait la norme du visage découvert dans la prestation et la réception des services publics, mais il s’agissait d’une réponse trop timide au débat aux ramifications multiples sur les accommodements raisonnables. Les recommandations phares du Rapport Bouchard-Taylor—le Livre blanc sur la laïcité et la politique de l’interculturalisme—sont restées lettres mortes.
Les conséquences d’un nouvel échec du PLQ sur le front identitaire seraient potentiellement catastrophiques. L’inaction ou la pusillanimité ouvriraient la porte à une autre démarche populiste et conflictuelle de la part du PQ ou de la CAQ, qui auraient beau jeu de dire que le PLQ a échoué deux fois plutôt qu’une et qu’une « approche musclée » s’impose maintenant. Bernard Drainville ne demande sans doute pas mieux que de revenir « mettre ses culottes » en public. Le PLQ peut se compter chanceux d’avoir une seconde chance.
La priorité pour le gouvernement devrait être d’adopter une charte, une loi ou un énoncé sur la laïcité qui reprendrait les dispositions qui faisaient consensus dans le projet de loi 60, à savoir le rappel du cadre permettant d’évaluer les demandes d’accommodement, la norme du visage découvert et l’affirmation formelle de la laïcité ou de la neutralité religieuse de l’État. J’ai, avec plusieurs autres collègues, toujours soutenu que l’État québécois est déjà laïque et que les limites à l’obligation d’accommodement existent déjà, mais il n’y a rien de mal à formaliser et codifier davantage le cadre normatif déjà en place. Une bonne majorité de citoyens attendent que l’État parle, qu’il dise explicitement quelque chose sur la laïcité québécoise.
Dans un deuxième temps, le PLQ pourrait dépoussiérer l’Énoncé en matière d’immigration et d’intégration adopté par le gouvernement Bourassa au début des années 1990. On se targue souvent, au Québec, d’avoir élaboré un modèle d’intégration pluraliste interculturel distinct du multiculturalisme. Bien que l’on exagère souvent la différence—sur le plan des principes et des politiques—entre le mutliculturalisme et l’interculturalisme, il demeure vrai que l’interculturalisme, désireux de trouver le juste milieu entre l’assimilation et le communautarisme, est un modèle d’intégration particulièrement prometteur. Il s’agit entre autres de respecter et de valoriser les différences tout en favorisant les interactions entre les Québécois de toutes les origines, dans le cadre d’une culture publique commune et dans l’espoir qu’une identité civique inclusive naisse de ces interactions. L’ennui, c’est que l’interculturalisme relève davantage d’une vision éthérée que d’une politique concrète pour l’instant au Québec. Il est temps de se donner une nouvelle politique d’immigration et d’intégration, et de mettre de la chair sur l’idéal interculturel.
Finalement—il n’y a pas de mal à rêver—le gouvernement pourrait, en plus de multiplier les ententes administratives, réfléchir aux principes généraux de la relation qu’il souhaite établir avec les 11 nations autochtones dont les terres ancestrales sont sur le territoire du Québec. Le Québec, disons-le franchement, manque de vision depuis le bref âge d’or que furent la Paix des Braves avec les Cris et le défunt projet d’ « Approche commune » avec certaines communautés innues*. Comme le récent jugement de la Cour suprême le suggère, le Canada ne pourra pas toujours éviter la voie de la réconciliation et d’une véritable définition des droits abstraits reconnus aux autochtones dans la Loi constitutionnelle de 1982.
Le Premier ministre Couillard a très justement soutenu à la Fête nationale du Québec que « le défi de ce siècle sera de conjuguer cette identité avec une diversité croissante. Une identité québécoise distincte, forte, partagée par tous les Québécoises et Québécois de toutes régions et de toutes origines. Voilà notre projet et notre avenir. » Je suis bien conscient que l’attention est tournée vers les finances publiques et que les gouvernements libéraux préfèrent généralement ne pas trop remuer la marmite identitaire, mais une vision globale et des politiques audacieuses seront nécessaires si le Québec veut relever ce « défi du siècle ».
* Voir Jocelyn Maclure, « Définir les droits constitutionnels des peuples autochtones: Une évaluation normative de la ‘nouvelle’ approche du Québec », Éthique publique, 7, 1, 2005.