Grandeur et misère du système québécois de services de garde à l’enfance

Contribution invitée, par Luc Turgeon, professeur adjoint à l’École d’études politiques, Université d’Ottawa

La possible modulation des tarifs pour les services de garde en fonction du revenu familial suscite la gronde. Dimanche dernier, des milliers de Québécoises et de Québécois ont d’ailleurs manifesté à travers la province pour dénoncer ce scénario présentement à l’étude par le gouvernement libéral.

Journalistes et analystes ont également critiqué avec véhémence ce projet de modulation des frais de garde. Camil Bouchard, l’un des architectes de la politique familiale québécoise, a parlé de “déconstruction tranquille” du système québécois de services de garde éducatifs. La chroniqueuse Marie-Claude Lortie a quant à elle évoqué la fin de l’universalité du programme de garderies et déploré l’intervention du gouvernement libéral dans “un système qui fonctionne”.

Il y a de bonnes raisons de s’opposer à la modulation des tarifs. On peut, en particulier, se questionner sur l’impact politique d’une telle approche. Est-ce que les plus riches, par exemple, voudront continuer à payer plus d’impôts s’ils doivent contribuer davantage aux services de garde? On peut également se demander si une telle augmentation ne mènera pas à une expansion des garderies privées dans la mesure où il sera plus avantageux pour certains parents de tirer profit du crédit d’impôt pour frais de garde d’enfants dans le secteur non subventionné.

Dans ce débat, il ne faudrait cependant pas céder à l’hyperbole. En particulier, il faudrait analyser le système québécois pour ce qu’il est réellement plutôt que de peindre un portrait idyllique des services de garde au Québec.

Il s’agit d’un système qui a contribué à augmenter la participation des femmes au marché du travail et qui a été un outil important dans la lutte à la pauvreté. Ce sont des réalisations majeures. Cependant, ce système est loin d’être parfait. Présenter le système québécois comme un “système qui fonctionne”, c’est tout simplement jouer à l’autruche.

L’universalité du système québécois est un mythe. Nombreuses sont les familles québécoises qui n’ont pas accès à une place à contribution réduite. L’existence de frais modulés en fonction du revenu familial ne signifie d’ailleurs pas pour autant l’absence d’universalité. En fait, plusieurs pays européens qui ont un système dit universel, comme la Suède, modulent les frais pour les services de garde en fonction du revenu familial. Le système suédois est tout de même universel dans la mesure où chaque citoyen a droit à une place et à une aide importante de l’État pour défrayer le coût associé à la fréquentation d’une garderie.

La plus grande faille du système québécois provient du fait, comme le démontrait une étude de l’Institut de la statistique du Québec publiée en 2011, que le pourcentage d’enfants gardés régulièrement est significativement plus bas chez les enfants qui vivent dans des conditions matériellement et socialement défavorables. Cette étude démontrait également que, parmi ces enfants, les parents étaient beaucoup plus susceptibles de mentionner le manque de places en garderie pour expliquer pourquoi leur enfant n’était pas gardé de façon régulière.

L’absence d’accès à une place en CPE pour bon nombre d’enfants issus d’un milieu plus défavorisé est particulièrement problématique à la lumière des prétentions éducatives du modèle québécois. La littérature scientifique démontre qu’en terme de développement intellectuel, ce sont d’abord et avant tout les enfants issus des quartiers les plus pauvres, ceux-là mêmes qui sont sous-représentés dans le système actuel, qui bénéficient le plus des services de garde. L’impact des services de garde sur le développement intellectuel est en fait marginal chez les autres enfants (ce qui ne veut pas dire, bien entendu, qu’ils ne devraient pas fréquenter un service de garde).

La littérature scientifique démontre également que l’apport des services de garde au développement des enfants défavorisés dépend en grande partie de la qualité des services. Les places en garderie, comme les CPE, et de bons ratios enfants-éducatrices sont des facteurs particulièrement importants. Or, les places en CPE correspondent à seulement 39% des places à contribution réduite et à 32% de l’ensemble des places disponibles. De plus, les ratios enfants-éducatrices en garderie, en particulier pour les poupons, sont parmi les pires au Canada. À titre d’exemple, pour un enfant de moins de 18 mois, le ratio en installations (CPE ou garderie privée) est de 1:5 au Québec comparativement à 3:10 en Ontario.

Il ne s’agit pas de dénigrer la qualité des services de garde offerts au Québec. Il s’agit tout simplement de reconnaître que le système actuel est structuré de façon telle que son impact éducatif est limité.

On peut cependant comprendre la méfiance de plusieurs intervenants du milieu des CPE face à la proposition du gouvernement libéral de moduler les tarifs en fonction du revenu familial. Après tout, plusieurs de ces intervenants sont conscients que la “destruction tranquille” du modèle québécois est amorcée depuis plusieurs années et que le Parti libéral du Québec en est en grande partie responsable. En particulier, le pourcentage de places en garderies privées (subventionnées et non subventionnées) a tout simplement explosé depuis l’adoption du programme québécois de garderies à tarif réduit. En 1998, 29% des places en installations (excluant donc les places en milieu familial) étaient dans des garderies à but lucratif. Aujourd’hui, ce pourcentage est de 51%. Cette explosion du privé dans les services de garde est en grande partie le résultat de changements apportés en 2009 par le gouvernement libéral au crédit d’impôt pour frais de garde d’enfants.

La littérature sur la qualité des services de garde dans les garderies à but lucratif est controversée. Il n’en demeure pas moins que l’expansion des places en garderies à but lucratif (subventionnées et non subventionnées) ne s’est pas faite sans heurts au Québec. Si les garderies à but lucratif sont responsables du tiers des places au Québec, 70% des plaintes reçues par le ministère de la Famille pour l’année 2013-14 concernaient ces garderies, incluant 89% des plaintes liées à la santé et la sécurité des enfants.

Si le Parti libéral est en grande partie responsable de l’explosion du privé dans les services de garde, le Parti québécois n’est pas sans blâme. Clairement, il a failli à la tâche d’assurer, dès l’instauration du système de services de garde à contribution réduite, une réelle expansion des CPE dans les quartiers les plus pauvres. Il s’agit là de la plus grande faillite du modèle québécois.

Alors que plusieurs commentateurs appellent les Québécois à redoubler d’efforts pour faire reculer le gouvernement libéral sur la question de la modulation des tarifs, on est en droit de se poser la question suivante : à quand une manifestation pour dénoncer le manque de places dans les quartiers les plus pauvres?

Comments

Grandeur et misère du système québécois de services de garde à l’enfance — 2 Comments