Affaire HSBC: la pointe de l’iceberg

Au terme d’une enquête de longue haleine, en collaboration avec 60 autres médias issus de 47 pays, le journal Le Monde vient d’exposer au grand jour un vaste système d’évasion fiscale orchestré par l’institution financière britannique HSBC (qui n’en est d’ailleurs pas à son premier scandale)

La nouvelle fait déjà beaucoup parler, notamment à cause des célébrités impliquées, mais les véritables vedettes de l’affaire, ce sont les chiffres : 180,6 milliards d’euro transférés dans le plus grand secret vers Genève, par l’entremise de comptes HSBC appartenant à plus de 100 000 clients et de 20 000 sociétés. Et cela, uniquement entre le 9 novembre 2006 et le 31 mars 2007.

Il s’agit d’activités illicites, il est donc par définition difficile de connaître l’ampleur des sommes impliquées par les structures et mécanismes de l’évasion fiscale. Cette enquête, basée sur des archives numérisées dérobées à la filière suisse de la Banque HSBC, a donc le mérite de jeter une lumière sur cette réalité, même si ce n’est que de façon partielle. Elle offre aussi des informations tangibles qui, on le souhaite sans trop y croire, pourraient mener à des poursuites criminelles contre les institutions impliquées et leurs têtes dirigeantes.

Si elles doivent nous choquer, ces informations ne devraient cependant surprendre personne. Des travaux sérieux, menés dans les dernières années, ont déjà avancé des hypothèses assez rigoureuses sur l’étendue de la fraude financière mondiale.

Par exemple, en 2012, le Tax Justice Network – une coalition composée de chercheurs et d’activistes préoccupés par les effets désastreux de l’évasion fiscale – publiait un rapport de James Henri, ancien économiste en chef du cabinet de conseil McKinsey, dans lequel est estimé qu’à la fin de 2010 au moins 21 billions de dollars (rappel : 1 billion = 1000 milliards !) échappait à tout contrôle public, grâce aux différentes formes de paradis fiscaux dont profitent les plus riches. Une somme équivalente aux économies américaines et japonaises combinées !

Présentée comme l’étude la plus détaillée à ce jour sur les paradis fiscaux, grâce à une compilation de donnés provenant de la Banque mondiale, du FMI, des Nations Unis, de différentes banques centrales, de la Banque des règlements internationaux, mais aussi de données sur l’évasion privée telles qu’on peut les trouver dans les études des cabinets conseils, elle offre un portrait vertigineux de l’ampleur potentiel de la fraude financière.

Deux conclusions de l’étude me semblent particulièrement frappantes.

1. En s’appuyant sur un calcul très conservateur, si ce montant profitait d’un taux d’intérêt de 3% et qu’il n’était imposé qu’à 30%, c’est entre 190 et 280 milliards de dollars qui reviendraient alors dans les trésors publics.

2. Plus important encore, si les montants estimés par l’étude étaient confirmés et que l’évasion fiscale était contrée, les pays qui font l’objet de cette étude ne seraient pas débiteurs mais créanciers ! Des sommes cachées par leur propre élite, grâce à l’aide des institutions financières. Exactement ce que nous rappelle cette semaine l’affaire HSBC.

Ce rapport n’est pas sans failles et ses conclusions sont peut-être excessives. Dans La richesse cachée des nations. Enquête sur les paradis fiscaux (que j’ai recommandé ici), l’économiste Gabriel Zucman signale qu’Henry inclut dans ses estimations des dépôts réalisés par des entreprises à l’étranger, mais qui n’en sont pas moins légitimes.

Les calculs beaucoup plus conservateurs de Zucman nous permettent tout de même d’évaluer à au moins 7 500 milliards de dollars les sommes détenus sur des comptes dans les paradis fiscaux.

Comment Zucman parvient-il à ses conclusions ? Là aussi, grâce aussi à une somme massive d’informations statistiques qui lui permettent de mettre en lumière une anomalie dans les finances mondiales : davantage de passifs que d’actifs enregistrés. Comme Zucman l’illustre, c’est un peu comme si la Terre était en partie détenue par les martiens.

Ces martiens, ce sont ces privilégiés qui parviennent à cacher une part importante de leurs actifs. C’est aussi ce qui fait, selon Zucman, qu’au bas mot 8% du patrimoine financier des ménages (un record historique !) se voit dissimulé aux pouvoirs publics, essentiellement au profit des ultra-riches et au détriment de la plus grande majorité d’entre nous.

Le montant est à peine moins impressionnant que celui suggéré par Henry, et il s’agit de données plus robustes, qui ne rendent compte par ailleurs que des titres financiers, et non des autres types de richesses. Zucman reconnaît donc que la réalité doit se trouver entre les deux estimations.

L’affaire HSBC n’a donc rien d’une surprise. Elle est toutefois une illustration claire et vérifiable d’une situation parfaitement inacceptable.

À l’heure où gouvernants et faiseurs d’opinion insistent sur l’importance d’enrayer la dette publique – justifiant ainsi les mesures d’austérité aux conséquences brutales – ce genre de nouvelles devrait nous rappeler qu’avant d’être un problème de dette, la crise actuelle est d’abord le résultat d’un problème de justice fiscale. Plutôt que de s’y attaquer directement, et vigoureusement, on continue pourtant à demander à des populations entières de se serrer toujours un peu plus la ceinture, afin de rembourser une dette dont l’ampleur s’explique largement par le fait qu’une bonne partie de l’élite a cessé depuis longtemps de contribuer à sa juste mesure au trésor public.

Osons espérer d’autres fuites et la révélation d’autres scandales comme celui de la HSBC. Exigeons surtout de nos gouvernants qu’ils se préoccupent de ce vol à grande échelle des biens publics par les plus riches, et qu’ils dépensent davantage d’énergie à combattre ce système de fraude hyper-organisé qu’à faire peser la responsabilité de la situation sur les épaules des moins favorisés.

Comments

Affaire HSBC: la pointe de l’iceberg — 3 Comments

  1. Mais ces élites ont nos gouvernements dans leur poche! Comment espère-t’on qu’on exige quoi que ce soit de nos gouvernements? Nous avons tous lu “Testing Theories of American Politics: Elites, Interest Groups, and Average Citizens”, comment penser influer quoi que ce soit, en dehors de ce qui est déjà décidé? Pis, chaque élection n’est qu’un jeu de chaises musicales, on le voit bien. Le meilleur exemple est la France, ou la quasi-totalité de la classe politique “professionnelle” sort de l’ENA. Au final c’est comme si, à la sortie de l’école, ils avaient le choix: filière coté “gauche”, ou filière coté “droite”. Sans mentionner que les grandes têtes du CAC40 sortent de la même école. Conflit d’intérêt, ou ça? :)