Entrevue dans Le Devoir

Une entrevue sur les causes de la défaite du PQ publiée dans Le Devoir:

Les sources du mal
Souveraineté, nationalismes et autres causes de la défaite péquiste

Stéphane Baillargeon
S’il y a un mal, il doit bien y avoir des symptômes. Pour le Parti québécois (PQ), la raclée de lundi est un grand mal, et le philosophe Jocelyn Maclure est capable de dénombrer les signes qui permettent de poser un diagnostic.

” La déconfiture est totale, résume le professeur de l’Université Laval. Et cette défaite grave est symptomatique de problèmes importants au sein du parti. ”

Lesquels ? Le spécialiste de la philosophie politique, qui a été expert auprès de la commission Bouchard-Taylor (2007-2008) sur les accommodements religieux, en voit au moins quatre. Un trio de causes internes et une autre raison liée à la manière de mener la politique.

La souveraineté.” À ce stade-ci de notre histoire, il y a un désintérêt assez grand par rapport à l’idée même de débattre du statut constitutionnel du Québec,dit-il. Ce n’est pas vu comme une priorité, y compris par certains souverainistes. Le PQ doit en prendre acte. Dans ce contexte, le PQ a souffert de son incohérence. Certains veulent en parler, d’autres pas. Mme Marois a tenté d’arbitrer les tensions internes. La position bancale, difficile à comprendre, a finalement plombé la formation. J’imagine que pour la reconstruire, il faudra définir une position claire et facile à comprendre. Mais je ne crois pas qu’il y ait beaucoup d’appétit pour un nouveau ” beau risque “. ”

Les nationalismes. ” Deux options s’affrontent et une a gagné ces dernières années. D’un côté, il y a le nationalisme qu’on qualifie d’identitaire, de conservateur. Il est très influent depuis les élections de 2007, depuis que l’ADQ a réussi à déloger le PQ comme le parti défenseur de l’identité. D’un autre côté, depuis Lucien Bouchard, le PQ a aussi été animé par une forme de nationalisme inclusif. Cette forme a faibli après 2007-2008, mais des nationalistes sont bien mal à l’aise avec un nationalisme plus centré sur la majorité culturelle, qui épouse une conception de la laïcité plus dure. Certains ont migré vers Québec solidaire. D’autres se demandent s’ils sont encore souverainistes. Cette division entre les deux nationalismes a aussi plombé le PQ. ”

La charte de la laïcité. ” Le Parti québécois croyait pouvoir tirer profit de son projet de charte, alors que le débat a finalement révélé les fragilités de cette assise. On en a discuté de manière très intense pendant six mois et quand le PQ a tenté de la remettre à l’avant-plan de la campagne, ça n’a pas marché. Les péquistes parlaient seuls et se sont discrédités en voulant beurrer encore plus épais, en ramenant Janette Bertrand. Ils ont montré que le discours autour de la charte était très, très fragile, pour le dire de la façon la plus modérée possible. ”

La mécanique politique. ” Cette dernière cause est liée à la façon de mener les affrontements démocratiques, termine le philosophe. Les campagnes se font sur des considérations stratégiques plutôt qu’en fonction de considérations liées au bien commun. Pourtant, l’approche stratégique a prouvé son inefficacité. Le PLQ a essayé de faire campagne en montant les uns contre les autres au sujet de la grève étudiante et de la loi spéciale, très abusive selon beaucoup d’observateurs. Ça n’a pas marché et le PLQ a été sanctionné pour sa gestion de la crise. Je vois la même chose avec la charte de la laïcité, qui a été utilisée comme wedge issue [sujet de discorde] pour polariser l’opinion. Arrivé en campagne, très rapidement, on a bien vu que les gens n’y voyaient pas un enjeu important. Au premier débat, Pauline Marois s’est retrouvée très rapidement isolée par les trois autres chefs qui ont affirmé qu’ils auraient pu rapidement s’entendre sur un projet de charte de la laïcité. Finalement, on se dit que la démagogie, la politique sur des enjeux controversés, ce n’est peut-être pas une stratégie très payante. “

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